Quand on fait un film, on veut qu’il soit vu et d’autant plus quand il a l’ambition de participer à une réflexion sociale et politique.
Je ne connais pas précisément « les chiffres » comme on dit c’est-à-dire le nombre de spectateurs qui sont allés voir « Les lendemains » mais je sais qu’ils ont été environ 7000. Ce n’est pas beaucoup, c’est sûr, mais cette première expérience m’aura beaucoup appris.
Les discussions que j’ai eu la chance d’avoir avec le public à l’occasion d’une trentaine de séances où j’ai accompagné le film m’ont permis d’avoir un rapport plus humain que comptable au film. Je n’oublierai pas ce jeune homme à Evreux qui m’a dit : « Audrey*, c’est moi », ce monsieur au Pouliguen demandant : « Pourquoi ce ne sont pas des films comme ça qu’on propose à la Fête du cinéma plutôt que les mêmes conneries qu’on peut voir tout le temps ?! », ces spectateurs me remerciant de montrer la classe moyenne si rarement représentée dans le cinéma français et tant d’autres choses (notées précieusement dans un petit carnet).
Ces échanges m’ont aussi évité de sombrer dans l’amertume alimentée par certaines frustrations, vexations, déceptions, irritations.
Frustration que le film ne soit pas sorti entre autres à Grenoble, Strasbourg, Carcassonne ou Caen (où il a été tourné en partie) parce que, m’a-t-on dit, les exploitants des cinémas de ces villes ne l’aimaient pas. Mais les exploitants aiment-ils toujours les films qu’ils programment ? évidemment non. C’est sur les films catalogués comme « petits » que les exploitants font intervenir leur goût. Et je n’ai pas attendu la sortie de mon propre film pour savoir ça ; je le constate chaque mercredi dans la ville où j’habite, Rennes, où beaucoup de films que j’aimerais voir ne passent jamais.
Il faut dire que ça se bouscule au portillon. Le mercredi de la sortie de mon film sortaient aussi 18 autres films (nouveautés et rééditions). Tant mieux ! mais ce qu’il faut souligner c’est que 3289 écrans étaient occupés pour 8 d’entre eux (dont plus de 1300 pour « Les profs » et « Les gamins ») et 95 par les 11 autres (dont « Les lendemains »).
Comme le dit le personnage principal dans mon film : « Les petits, ils perdent déjà. » Mais la question c’est : qu’est-ce qui fait qu’un film est catalogué « petit » ?… Sa qualité artistique ? parfois mais peut-être surtout son petit budget, son casting sans stars, son absence de campagne marketing… (c’est exactement ce que souligne le début de la critique de Jean-Michel Frodon). Et je me demande bien quelle chance donnent au film des cinémas qui, décidant au dernier moment de le sortir, n’ont jamais passé sa bande-annonce ? Sans parler du Cinéville de Lorient qui n’a même pas daigné accrocher l’affiche ? (je cite l’exemple que je connais, il y en a peut-être d’autres…) Attention, je ne suis pas en train de cracher sur le monde de l’exploitation cinématographique ! C’est un monde aussi complexe qu’il est hétéroclite (et je n’en ai connu qu’un tout petit bout). J’ai rencontré plein de gens formidables qui ont vraiment travaillé pour que Les lendemains soit vu. C’est juste qu’en vivant pour la première fois cette aventure de « la sortie en salles » je me demande s’il ne pourrait pas en être autrement de la distribution, de la programmation, de l’exploitation… Plein de nouvelles questions pour moi.
Irritation qu’aucun critique des Cahiers du cinéma n’ait pris la peine de venir aux projections de presse alors que c’est leur métier et que leur numéro d’avril était justement consacré au jeune cinéma français. Mais peut-être fallait-il prendre « jeune cinéma français » au sens propre de l’âge des réalisateurs et je dois avoir dépassé la date de péremption… Ou peut-être que je ne traîne pas assez dans les cocktails des festivals…
Déception (ou vexation ?) qu’aucun étudiant de l’école publique qui m’a formée (l’ESAV) ne vienne à la projection organisée au cinéma ABC de Tououse. La date avait pourtant été choisie pour que la rencontre puisse avoir lieu mais l’ESAV a proposé dans ses locaux la projection d’un autre film au même moment…
Mon film est sorti en salles le 17 avril. C’était le jour de l’anniversaire d’Audrey*. Le clin d’œil de ce télescopage m’amusait mais ne m’empêchait pas de savoir que c’était aussi la période des vacances de Pâques (commencées par la zone B le 13 avril). Les distributeurs du film considéraient que, malgré son sujet, mon film n’intéresserait pas les jeunes gens. Pourtant les spectateurs lycéens et étudiants que j’ai rencontrés n’ont pas semblé du même avis. Dommage…
Et le 14 avril, il s’est mis à faire très beau et même chaud. Ca n’a duré qu’une dizaine de jours.
La vie de mon film aurait-elle été différente si le soleil avait continué à rester caché ou s’il était sorti le 3 avril comme le producteur et moi le souhaitions? Peut-être… un peu… mais, comme je l’ai appris/compris, c’est beaucoup plus compliqué que ça !
* Audrey est le prénom du personnage principal du film